

· De Karine Lesage
Sur le sac - Une question de terroir?
4 de 4 - On termine notre série Sur le sac avec la notion d’origine. Si le terme « terroir » est déjà bien implanté dans l’industrie vinicole, il prend aussi tout son sens dans le monde du café. Chaque pays et chaque région ont leurs impératifs environnementaux (climat, topographie, type de sol, insectes, flore microbienne), mais également des méthodes agricoles spécifiques, traditionnelles ou non, qui caractérisent les cafés qui y sont produits. Si l’on doutait du réel impact du terroir, une vague récente de recherches scientifiques ont révélé qu’il peut véritablement conférer une signature chimique ou microbienne distinctive permettant de retracer certains aliments jusqu’à leur origine.
Les pays pratiquant la caféiculture se situent dans la ceinture tropicale-équatoriale en Afrique et en Asie, dans les Amériques et dans le Pacifique. Aujourd’hui, on compte plus de 60 pays producteurs dont les plus importants en volume sont le Brésil, le Vietnam et la Colombie. Aux côtés des producteurs de masse cohabitent des fermes, souvent de plus petite échelle, ayant pour principe la recherche de qualité et étant portées par une conscience environnementale. Intégrant le marché du café de spécialité, ces fermes établies un peu partout dans le monde sont mises de l’avant sur les sacs de café de la plupart des torréfacteurs comme la région et le pays producteur où elles se situent. Ces indicateurs d’origine permettent d’assurer la traçabilité du produit, mais sont plus qu’un simple marqueur géographique pour certains. À leur vue, on peut également déduire quelques caractéristiques potentielles du café.Penser le terroir dans le monde du café
Certaines origines confèrent au café un profil singulier dû à la géographie et au climat, aux variétés qui y sont cultivées et aux méthodes développées par les caféiculteurs locaux. C’est ce que l’on entend par « terroir ». De la locution latine terra, ce terme est employé en France dès le milieu du XIXe siècle. Son usage s’est propagé au fil des années en raison des effets de la globalisation, permettant aux productions locales de voyager et de se démarquer dans un marché étranger. C’est vers la fin des années 1960 que les acteurs et les consommateurs de café sont de plus en plus conscients de la chaîne d’approvisionnement et s’attardent à l’origine du café ainsi qu’à la manière dont les grains ont été traités. Avec la fondation de la Specialty Coffee Association of America (SCAA) en 1982, puis sa fusion avec celle d’Europe en 2007, les enjeux liés à la traçabilité des grains de la ferme au torréfacteur comme ceux des standards de qualité se sont établis comme priorités.
Le terroir est, avant tout, synonyme de traits aromatiques et de signature gustative pour les consommateurs de café. Mais, pour les producteurs ainsi que les torréfacteurs, cela a de plus grandes implications. Les producteurs de café doivent se plier à plusieurs impératifs que leur imposent leur situation géographique, le climat et les ressources environnantes auxquelles ils ont accès ou non. Un pays où peu de cours d’eau parcourent le territoire est destiné à se concentrer sur des procédés autres que la méthode lavée. Ou encore, si un pays est constitué de plaines et gagne très peu en hauteur, les cafés qui y sont produits sont influencés par l’altitude moindre à laquelle se trouvent les plantations. Dans l’ensemble, on considère qu’il existe trois facteurs-clés qui impactent la production du café et qui définissent le terroir d’une région. Voyons voir lesquels.
Le sol
La composition du sol est très importante, puisqu’il s’agit de là où la plante absorbe l’eau et les nutriments comme le phosphore, le potassium, le calcium et le magnésium, etc. Le fermier doit s’assurer que le sol ait une bonne quantité de matières organiques, d’humidité, de lumière, d’aération, de nutriment et d’ombrage pour la santé des caféiers. Au-delà du travail crucial des agriculteurs pour nourrir et accroître la productivité des caféiers, la prévalence de certains minéraux dans un sol plutôt que d’autres risque d’influencer le corps, les arômes et l’acidité d’un café.
Pour comprendre le rôle du sol, on prend souvent comme exemple le cas du sol volcanique. Connu pour être fertile, le sol volcanique est, entre autres, riche en potassium, ce qui affecte la formation des cerises, en sucre et en acide citrique, ce qui modifie les flaveurs d’un café et en calcium, ce qui impacte le développement des racines et des feuilles ainsi que la vitesse à laquelle les fruits mûrissent. En plus d’être riche en minéraux, la structure d’un tel sol est moins dense et plus poreuse permettant de faire des réserves d’eau lors des saisons pluvieuses et de mieux résister aux sécheresses. Plusieurs pays d’Amérique Latine tels que la Colombie, l’Équateur et le Guatemala se trouvent sur la ceinture de feu du Pacifique, appelée ainsi puisque composée de 75% des volcans actifs et en dormance du monde. La composition de ce sol ainsi que l’altitude que permettent les régions volcaniques bénéficient et influencent la production de café et le résultat à la tasse.
L’altitude
Les plantations de caféiers d’haute altitude tirent parti du climat plus frais, lequel assure une maturation lente des cerises. Plus les fruits mûrissent lentement, plus les grains seront denses et la tasse, complexe. C’est pourquoi des pays comme la Colombie dont certaines plantations se situent à 2300 m.a.s.l. sont appréciés et recherchés comme origine.
Par contre, l’altitude n’est pas une information à prendre tout cru, mais à mettre en contexte. La latitude, soit la distance par rapport à l’équateur, est à considérer également. À titre d’exemple, une élévation entre 800 et 1300 m.a.s.l. au Brésil (pays qui est plus au Nord) offre des conditions idéales, comme on en trouve plus près de l’équateur à des hauteurs supérieures, avec une température moyenne de 23°C. Ou encore, dans certaines situations géographiques, les vents ainsi que les courants marins auront aussi leur influence. Aux îles Galapagos, à seulement 200-300 m.a.s.l., les températures locales sont assez fraîches pour produire d’excellents cafés. C’est le courant de Humboldt amenant l’air froid du Chili et du Pérou qui crée ce climat favorable à la caféiculture. Dès lors, approcher des cafés produits dans des pays ayant des positions géographiques différentes sur la seule base de l’altitude apparaît quelque peu simpliste.
Il reste que, pour des régions rapprochées, l’altitude devient un outil de comparaison à portée de la main, sachant que les grains d’élévation supérieure sont bien souvent plus développés et concentrés en sucres et en acides. Et, même plus denses, ce qui aura son impact sur le style de torréfaction employé.
Le climat
On peut penser le climat d’un pays comme multiple, façonné par des micro-climats propres à chaque région. Ces derniers impliquent un ensemble de conditions atmosphériques – expositions au vent, saisons pluvieuses et sèches, température, etc. – qui favorisent l’implantation de telles variétés, l’utilisation de tel type de plantation (d’ombre ou de soleil), le perfectionnement de tels traitements des cerises. Le climat impacte, entre autres, le cycle des récoltes. Dans les régions équatoriales à des altitudes de 1100-1900 m.a.s.l., les pluies fréquentes provoquent une floraison presque continue, ce qui entraîne deux saisons de récolte du café. Ces pluies successives nuisent, par contre, au séchage des grains sur des patios extérieurs et impliquent alors de les sécher mécaniquement comme c’est le cas parfois au Kenya, en Colombie et en Éthiopie.
Le climat qui définissait, en partie, le terroir d’une région peut varier d’une année à l’autre. Avec les changements climatiques, cette réalité est d’autant plus d’actualité. Avec l’augmentation des températures, une région qui, auparavant, avait un climat frais, favorable au développement lent des fruits, peut peu à peu perdre cet attrait. Cette variation du climat est perceptible et les producteurs de café tentent de s’y adapter en allant à des altitudes de plus en plus hautes ou en plantant des arbres d’ombrage à titre d’exemples. L’augmentation des températures joue également un rôle dans la propagation des maladies et des infestations d’insectes. La rouille du caféier est d’ailleurs bien plus virulente aux alentours de 21 à 25 degrés Celsius et ne peut survivre à des températures inférieures à 15 degrés Celsius. Les changements climatiques, en plus de modifier le terroir de certaines régions, impactent l’avenir de la caféiculture et des caféiculteurs eux-mêmes, alors qu’une étude publiée dans le journal Climatic Change suggère que 50% des terres agricoles servant au café de spécialité seront improductives d’ici 2050.
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Au commencement, il y a le terroir: sa capacité nourricière, les composantes du sol, le climat, l’altitude, la biodiversité, etc. Mais, contrairement à l’industrie vinicole pour laquelle le terroir est fondamental, on remarque que la qualité d’un café repose, plus particulièrement, sur le facteur humain. Le terroir peut définitivement améliorer la qualité, mais ne peut, en aucun cas, la certifier. Dépendamment de la technique utilisée et du soin mis pour cueillir, faire fermenter, sécher et entreposer, un café développera ou bien des qualités positives, ou bien des qualités négatives. Pour plusieurs, c’est véritablement là où tout se joue.
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Recherches et rédaction par Chloé Pouliot
Sources
Anne Caron et Mélody Denturck, Cafégraphie.
Coffee Quality & M.A.S.L.: How Important Is Elevation Really?, Perfect Daily Grind.
Gloria Montenegro et Christina Chirouze, Caféologie.
James Hoffmann, The World Atlas of Coffee.
What Is Terroir and How Does It Affect Your Coffee, Perfect Daily Grind.
Yen Pham et al., ‘’The Impact of Climate Change and Variability on Coffee Production: A Systematic Review’’, Climatic Change.