De Jonathan Parent

Sur le sac - Les méthodes de traitement du grain expliquées

1 de 4 - La Société des Cafés vous propose le premier d’une série d’articles destinés à mieux comprendre les informations fournies par les torréfacteurs sur leurs sacs de café. Pour inaugurer cette série d’articles, nous nous intéresserons aux différentes méthodes de traitement des grains pouvant modifier tant la composition du grain vert que le profil du café dans votre tasse. Nous avons approché Simon Fabi, propriétaire de Cantook, à Québec, ainsi que Ann Hnatyshyn de House of Funk, microbrasserie et torréfacteur de Vancouver, afin d’obtenir leurs impressions sur les procédés post-récolte, des plus répandus aux innovations récentes.

 

Il faut savoir qu’une fois les fruits des caféiers récoltés, les producteurs de café peuvent employer des méthodes variées pour traiter les grains. L’objectif principal à ce stade consiste à retirer les couches extérieures de la cerise de café (la parche, le mucilage et la pulpe) pour ne conserver au final que les grains verts qui en forment le noyau. Des paramètres tels que le temps, l’équipement ainsi que les ressources naturelles disponibles vont influencer le choix de la méthode préconisée par les fermiers. Plus souvent qu’autrement, les torréfacteurs proposent des cafés naturels, lavés et miels, qui constituent les méthodes de traitement des grains les plus fréquentes. Pourtant, nous voyons émerger depuis quelques années déjà des procédés plus expérimentaux : les fermentations en environnement anaérobie (limité en oxygène), les cafés vieillis en barrique et d’autres inoculés aux levures alimentaires. Si ces innovations servent notamment aux fermes productrices à se démarquer dans le marché international du café, elles permettent en plus le développement de nouvelles flaveurs (parfum et goût) donnant ainsi au café un profil assez singulier. Sur les sacs, ces formulations intrigantes (par exemple : 100 % miel, macération carbonique, diamond honey) deviennent des indicateurs essentiels afin, d’une part, de saisir la démarche des fermes productrices et d’autre part, de découvrir nos préférences en tant qu’amateurs de café. 

Décortiquons les traitements naturel, lavé et miel

Cafés naturels 1

Considéré comme étant la méthode la plus ancienne, le traitement naturel (ou sec) implique, somme toute, peu d’interventions de la part des fermiers. Puisque ce procédé s’effectue sans eau, il est commun de voir des cafés naturels provenant de régions où l’accessibilité à cette ressource est restreinte (certaines parties de l'Éthiopie et du Brésil par exemple). Après la récolte, les cerises de café entières sont étendues sur des lits de séchage au soleil (patios en briques, lits surélevés). Les cerises de café peuvent prendre plusieurs semaines à sécher. Durant cette période, les fermiers doivent régulièrement retourner les fruits pour qu’ils puissent sécher uniformément et pour éviter que des effets involontaires (la moisissure, la décomposition ou une fermentation indésirable) soient stimulés. Une fois les cerises du caféier bien sèches, les strates extérieures sont retirées mécaniquement pour ne garder que les grains de café.

Profil - Les cafés naturels offrent, indépendamment des variétés et du terroir, un profil plus fruité (fraises, mûres, fruits tropicaux, etc.), des notes sauvages et un côté fermenté prononcé.

Voir nos cafés issus du prodécé naturel

 

Cafés lavés 

Le traitement lavé (ou humide) des grains de café se décline globalement en trois temps. Les cerises de café sont d’abord dépulpées à l’aide d’une machine appelée, en toute logique, le dépulpeur. Puis, les parties restantes du fruit (les grains enveloppés de mucilage) sont mises dans des cuves de fermentation (avec ou sans eau). La fermentation qui s’y fait permet au mucilage de se détacher des grains de café. Le temps de la fermentation varie selon différents facteurs dont l’altitude et la température ambiante. Nous pouvons toutefois dire qu’elle se déroule généralement en 12 à 72 heures. Pour finir, les grains sont rincés afin d’éliminer les dernières traces des couches du fruit et sont séchés au soleil. Une quantité d’eau importante étant utilisée dans le processus afin de retirer les couches extérieures de la cerise, des préoccupations environnementales se font par ailleurs entendre.

Profil - Le processus de lavage donne au café un profil souvent délicat avec une acidité plus marquée. Les cafés lavés sont appréciés pour leur netteté ainsi que leur complexité.

Voir nos cafés issus du procédé lavé

 

Cafés miels

Plus fréquent en Amérique centrale (Costa Rica et El Salvador), le procédé miel nécessite de dépulper les cerises de café à la machine tout en laissant sur les grains un certain pourcentage de mucilage. Ce pourcentage déterminera s’il s’agit d’un miel blanc (la quantité la plus faible), jaune, doré, rouge ou noir (la quantité la plus élevée). Par la suite, les grains sont étendus dans des aires de séchage. Plus la quantité de mucilage laissée sur les grains est importante, plus le temps de séchage et de fermentation est prolongé. Cette période permet au sucre contenu dans le mucilage d’être absorbé dans les grains.

Profil - Étant un hybride entre le traitement sec et humide, le procédé miel (« miel » veut d’ailleurs dire en espagnol « mucilage ») donne une tasse avec plus de corps. Nous y retrouvons la douceur des cafés naturels et l’acidité des cafés lavés.

Voir nos cafés issus du procédé miel

 

Innovations et autres expérimentations


Méthode anaérobie

C’est il y a environ cinq ans, lors d’un voyage au Costa Rica (pays qu’il affectionne plus particulièrement), que Simon Fabi, propriétaire de Cantook, a dégusté ses premiers cafés anaérobies. Les fermes productrices étaient alors à l’étape des expérimentations. À présent, on retrouve plusieurs torréfacteurs qui en proposent. En fait, les cafés anaérobies sont issus de cerises habituellement dépulpées puis placées dans des cuves hermétiques, sans oxygène. Ces dernières sont munies de valves afin de libérer les gaz produits lors de la fermentation, qui dure généralement entre 12 et 20 heures. Certains cafés peuvent fermenter jusqu’à 48 heures. Cet environnement limité en oxygène permet seulement à une partie de la flore bactérienne (celle capable de survivre dans de telles conditions) de participer à la fermentation et de façonner le profil final du café. La pression dans la cuve permet aux acides aminés produits de migrer dans la parche (partie cartilagineuse enveloppant les grains) et de donner aux cafés des notes plus franches et explosives. Une fois la fermentation terminée, les grains de café sont alors séchés dans des aires de séchage.

Voir nos cafés issus du procédé anaérobie

 

Macération carbonique

La macération carbonique a bien des points en commun avec le traitement anaérobie du café, puisque les deux méthodes impliquent une fermentation dans un environnement limité en oxygène. Ce qui distingue pourtant les cafés issus d’une macération carbonique de ceux anaérobies, c’est que les cerises ne sont pas dépulpées, mais placées intactes dans les cuves scellées. Puisque les fruits sont mis entiers, le processus de fermentation peut durer plusieurs jours, et même plusieurs semaines. Encore là, la pression dans la cuve libère les sucres et les substances pectines qui vont être macérés par la flore bactérienne présente. Alors que les cerises de café au fond de la cuve se compressent sous les effets de la gravité, celles au-dessus vont donner lieu à une fermentation plus lente se déroulant à même la peau du fruit. Nous devons la macération carbonique à l’industrie vinicole, plus précisément aux pratiques de la région de Beaujolais en France. Les vins comme les cafés produits avec une telle méthode sont réputés pour être juteux et fruités.

Exemple de café en macération carbonique

Macération en barrique de rhum

De ces nouvelles méthodes, certains disent que les notes de dégustation sont moins liées à la variété des cerises et au terroir, mais bien plus aux effets du procédé. Simon Fabi de Cantook nous fait d’ailleurs remarquer que les cafés issus de telles fermentations ont souvent un côté vineux (winey) bien marqué. Ces cafés sentent et goûtent l’amoncellement de pulpes qui fermentent au soleil. Ils sentent et goûtent les pays producteurs, nous dit-il. En soi, Simon Fabi voit dans les cafés dérivés de tels procédés des expériences gustatives singulières et parfois déstabilisantes qu’il souhaite partager avec les amateurs de café d’ici. Quelques producteurs de café vont même jusqu’à ajouter d’autres éléments (par exemple : fruits tropicaux, cannelle, mélasse) lors de la fermentation. Cette pratique – l’imprégnation anaérobie – ne fait toutefois pas consensus. Certains y voient une manière d’altérer le goût naturel même des grains de café et d’autres s’enthousiasment des flaveurs inattendues qui peuvent se manifester.

Pour Ann Hnatyshyn de House of Funk, ces expérimentations sont particulièrement stimulantes. Elle souligne avoir été bouche bée après avoir goûté, lors d’une séance de cupping, un café fermenté avec des mandarines séchées (« it was just THAT good »). Il s’agit du café « Mandarum » produit par la ferme Finca La Fortuna en Colombie. Les cerises mûres subissent une fermentation de 48 heures dans un environnement anaérobie avec les mandarines séchées. Après cela, le café recouvert de mandarines est amené sur des lits surélevés pour sécher jusqu'à un taux d’humidité de 10,5 %. Les grains de café complètement secs sont enfin vieillis en fûts de rhum pendant 15 jours. L’équipe de House of Funk cherche à torréfier des grains de café dont le profil tend à se distinguer des standards de l’industrie. Sa pratique l’amène à proposer plusieurs cafés vieillis en barrique ayant précédemment contenu différentes sortes d’alcool. Par exemple, House of Funk a acheté des fûts de bourbon du Kentucky et des fûts de vin blanc de vignobles de l'île de Vancouver et y a mis des grains verts jusqu’à 3 mois. Une fois dans les barriques, les grains verts s'imprègnent des flaveurs d’alcool imbibées dans les parois, ce qui offre à la tasse des cafés hybrides avec les caractéristiques gustatives des alcools choisis.

D’autres procédés de fermentation sortent également du lot :

Diamond Honey : Les grains de café enveloppés de leur mucilage sont amoncelés en forme de pyramide à l’abri du soleil, ce qui ralentit la fermentation. Les empilements sont retournés pour éviter que seules les cerises du milieu fermentent davantage.

Inoculé aux levures alimentaires : Dans le but de contrôler les paramètres de la fermentation, les producteurs de café vont introduire une flore bactérienne développée en laboratoire plutôt que d’utiliser celle qui se trouve à l’état naturel sur les cerises de café et dans l’environnement à proximité.

Même s’ils ont fait leurs preuves, ces nouveaux procédés de fermentation des grains pour les producteurs de café sont risqués d’un point vue financier. L’achat d’équipements, la durée considérable du processus et les manipulations ajoutées augmentent les coûts de production tout comme la possibilité de rencontrer certains obstacles (par exemple : incursion d’une levure indésirable, manipulations erronées, surfermentation). En contrepartie, ces traitements novateurs permettent aux fermes productrices d’obtenir de meilleurs prix pour leurs grains de la part des torréfacteurs intéressés et par conséquent, d’avoir un revenu plus élevé.

 

Un consensus sur la nomenclature?

Les termes que nous avons utilisés pour catégoriser les méthodes de traitement des grains peuvent, selon l’industrie du café, porter à confusion par leur imprécision, mais surtout puisque les pratiques varient d’une région à une autre. À titre d’exemple, nous avons expliqué un peu plus tôt comment les cafés miels sont classés par couleur selon la quantité de mucilage laissée lors du séchage. Pourtant, certains producteurs de café vont laisser l’entièreté du mucilage sur les grains de café et c’est la durée avant de retourner les cerises lors du séchage qui déterminera la couleur associée (le miel noir étant celui ayant fermenté le plus longtemps avant d’être retourné et le miel blanc, celui ayant été retourné plus rapidement)2. Le schéma conçu par Evan Gilman et Chris Kornman pour le Daily Coffee News permet de bien visualiser l’étendue des variations possibles dans l’industrie du café, autant pour des méthodes dites traditionnelles et plus répandues que les nouveaux procédés de fermentation.3 

Somme toute, chacune des méthodes de traitement des grains – les communes et les novatrices – implique un certain degré de fermentation. Il faut voir dans le grain de café une entité vivante qui interagit avec son environnement et y réagit.4 C’est cette interaction que les producteurs de café chercheront à contrôler et à modeler afin de produire des cafés délicieux aux notes parfois surprenantes. Les mentions de procédés sur les sacs de café rendent ainsi manifeste le savoir-faire et l’inventivité des producteurs de café. Pour bien mettre en valeur le résultat de ce travail, les torréfacteurs vont souvent torréfier plus légèrement et rapidement les grains pour préserver l’acidité et les flaveurs délicates du café, signale Ann Hnatyshyn. C’est pourquoi ces cafés se prêtent généralement mieux à une consommation en filtre, laquelle permet de rehausser et d’apprécier les subtilités du grain.

 

Texte réalisé par Chloé Pouliot 

Sources consultées

  • Merci à Simon Fabi (Cantook) et à Ann Hnatyshyn (House of Funk) pour votre intérêt, la disponibilité et les échanges enrichissants.
  • Chris Kornman, « A Guide to Carbonic Maceration and Anaerobic Fermentation in Coffee », Daily Coffee News.
  • Chris Kornman, « Coffee Processing Styles and Terminology (Plus Flowchart) », Daily Coffee News.
  • James Hoffman, The World Atlas of Coffee.
  • Jori Korhonen, « Coffee Processing Methods - Drying, Washing or Honey? », Barista Institute.
  • Simon Fabi, « #010 Les voyages à l’origine », Café Normal.
  • Sophie Jiyuan Zhang et Florac de Bruyan, « L’effet de la fermentation », Specialty Coffee Association.

 

Références

 1. Jori Korhonen, « Coffee Processing Methods - Drying, Washing or Honey? », Barista Institute.
2.  Simon Fabi au podcast Café Normal, « #010 Les voyages à l’origine ».
3.Chris Kornman, « Coffee Processing Styles and Terminology (Plus Flowchart) », Daily Coffee News.
4.  Sophie Jiyuan Zhang et Florac de Bruyan, « L’effet de la fermentation », Specialty Coffee Association.